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Heureusement qu'il y a des contradictions !

Heureusement qu'il y a des contradictions !
Heureusement qu'il y a des contradictions !

/Manager dans notre monde imparfait

La crise du COVID est un festival de critiques dans tous les sens. Une des plus fréquentes n’est pas nouvelle, c’est celle des contradictions à l’intérieur d’une décision, à l’échelle du pays ou d’une entreprise : alors on veut protéger du virus, mais laisser l’économie tourner : Contradiction ! On veut diminuer l’empreinte carbone et on subventionne Air France : contradiction ! Tenez, ça me rappelle la vieille rivalité entre la qualité et la productivité ou la tension plus que centenaire entre les exigences des producteurs et les commerciaux qui vendent « n’importe quoi » : Contradiction ! Mais, moi, le jour où il n’y a plus de contradiction, je quitte le pays et je me mets à la voile en solitaire. 

 

La cohérence, un amour scientifique ? Une manipulation politique ?

D’où vient cette quête de cohérence ? Il y a sûrement une source scientifique, fille du rationalisme cartésien. On aime ce qui s’explique comme un mouvement mécanique, comme dit Henri Dès : « C’est le p’tit zinzin qui passe par ici et qui fait bouger le p’tit machin ». Du coup on aimerait que la vie soit comme ce moteur et que l’on puisse en avoir une vision parfaitement cohérente, LA vision. On aimerait que la décision de déconfinement tombe sous le sens et que chaque sous-décision soit cohérente avec sa petite copine qui la précède. On aimerait que l’équilibre entre la qualité et la productivité soit optimal tout le temps, stable et rassurant… 

On aimerait vraiment ?

Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que seuls les esprits totalitaires sont véritablement séduits par la cohérence extrême. Souvent j’ai l’impression que le procès en incohérence est une manipulation politique : on fait semblant d’ignorer la complexité d’un problème pour montrer l’incompétence de son adversaire.

 

En réalité, l’incohérence c’est la vie, c’est ce qui justifie la compétence et même l’intelligence

Henri Dès lui-même, quand il s’agit d’expliquer « comment on fait les bébés » se rend compte que « machins et zinzins » sont un peu limités. 

Si l’on convient que l’évolution des espèces est une recherche d’adaptation à l’environnement, alors comment le cerveau humain a-t-il pu se développer si fortement, si ce n’est en devant résoudre des tas de problèmes et de contradictions ?

Résoudre un problème, intellectuel ou physique, vaincre une incohérence, c’est tout simplement le sel de la vie, le principal plaisir de l’Homme

La vie dans son ensemble est une immense marmite de contradictions : protéger son enfant ET le laisser se casser la figure pour qu’il apprenne. Vouloir faire quelque chose vite ET vouloir le faire bien. Dire que la qualité est une priorité ET vouloir optimiser la productivité aussi. 

Et puis la contradiction, l’incohérent c’est aussi la base du génie, ou au moins du coup de génie : Picasso est son cubisme, Kennedy et ses 10 ans pour aller sur la lune, Michel Ange qui fait de la peinture érotique (pour l’époque) sur le plafond d’une église, Christophe Colomb qui part plein ouest direction l’Inde.

Résoudre un problème, intellectuel ou physique, vaincre une incohérence, c’est tout simplement le sel de la vie, le principal plaisir de l’Homme : courir pendant 42 km, absurdité physique et défi si excitant ! Vaincre le sudoku force 9, apprendre une langue rare, monter un meuble Ikea… autant de défi qui peuvent nous vaincre ou nous rendre fiers. L’incohérence c’est la vie. Vivre avec, la surmonter, c’est ce qu’il y a de meilleur.

Bref un monde qui vise à supprimer les incohérences, ça s’appelle le totalitarisme, et le seul état parfaitement cohérent, c’est la mort… Pas envie.

Dans l’entreprise c’est même ce qui justifie la compétence, voire le salaire : la gestion des contradictions. Parce que si on me confie un site industriel à manager avec un seul indicateur bien cohérent, genre 0 accident, je suis cohérent : je ferme le site, j’ai gagné. Si on me rajoute un objectif, et donc un peu moi de cohérence par exemple : pas d’accident ET produire 1000 produits… Là, je suis obligé de réfléchir, et mon incompétence est démasquée.

Si on attend la fin du virus COVID 19 pour réouvrir les écoles, on sacrifie des millions écoliers de tous niveaux… Si on ouvre les écoles à vitesse grand V sans se soucier du virus, on remplit les hôpitaux en moins temps qu’il en faut pour dire coronavirus. Il faut donc choisir le flou, une forme d’incohérence subtile qui doit permettre de poursuivre différents objectifs.

Bref un monde qui vise à supprimer les incohérences, ça s’appelle le totalitarisme, et le seul état parfaitement cohérent, c’est la mort… Pas envie.

 

Alors comment faire en management ?

Bien sûr cette joie de la difficulté, cette acceptation de la complexité ne peut pas être une excuse pour dire n’importe quoi et s’exonérer de toutes nos décisions. C’est là que le stoïcisme et les philosophies zen doivent probablement prendre le pas sur le fatalisme. Constater que le monde est incohérent, c’est nous inviter à vivre avec, et pas à ne rien faire.

 

Comment ménager la chèvre et le chou en management : 

  • D’abord, bien sûr, il faut expliciter les différents objectifs et admettre leur apparente contradiction : oui nous devons trouver un équilibre ! Par conséquent on évitera les formules définitives et forcément fausses comme « 1 seule priorité : la qualité » Impossible.
  • Ensuite, la résolution de l’équation avec ses variables contradictoires est le défi à poser aux équipes et sera un excellent exercice de transversalité entre équipes. Faites un atelier avec les équipes concernées et demandez-leur : « augmentez-moi la qualité sans augmenter les coûts. Vous avez 4h » Pris comme un jeu, l’exercice sera source de créativité, et les idées qui émergeront seront astucieuses, habiles, intelligentes. S’il faut soutenir ensuite avec un petit investissement, allons-y. Le ROI sera là parce que le surcroit de motivation, non mesurable, va polir le diamant.

 

Après, vous serez sujet à des critiques pour votre incompétence et votre incohérence. Alors comment répondre aux questions de plus ou moins bonne foi :

  • D’abord si l’incohérence c’est la vie, il est bon d’avoir un cap stable. Je ne suis pas fan des valeurs affichées et imposées mais c’est quand même une façon d’être cohérent sur le long terme : « j’assume une part d’incohérence au quotidien, mais sachez que je cherche globalement à ce que nous trouvions des solutions ensemble pour nous développer ».
  • Mais les valeurs, on le voit, ne peuvent suffire à faire accepter les contradictions. Il faut aussi un cap opérationnel simple et clair, auquel chacun peut se raccrocher et qui permet de jongler avec plus d’habileté avec les contradictions : « Oui, nous avons des choix cornéliens à faire au quotidien, et ce qui doit nous faire choisir plutôt un côté ou plutôt l’autre, c’est le service client qui est aujourd’hui notre talon d’Achille ».
  • Ensuite, c’est la pédagogie qui va faire la différence. Montrez, dessinez votre problème en 2 dimensions pour que les enjeux ne s’opposent pas et que l’on cherche l’optimum. Laissez les équipes tester un peu trop d’un côté ou un peu trop de l’autre. Comme quand on apprend à barrer un bateau… On essaye avec des petits coups, et ensemble, et puis on peut laisser les équipes prendre la main et affiner la technique. Elles seront fières de jongler avec 2 balles puis 3 ou 4… Parce qu’avec 1 seule balle, on ne se rate pas, mais c’est pas marrant.

 

Et puis face à la mauvaise foi, et bien presque rien n’à faire… Ah si, un truc efficace et une petite pirouette :

  • LE TRUC EFFICACE : rendre le travail avec les contradictions amusant, excitant, valorisant pour qu’il attire de plus en plus. 
  • LA PETITE PIROUETTE : vous pourrez toujours dire « s’il n’y avait aucune contradiction à résoudre, je pourrai prendre mon neveu de 7 ans pour votre job. C’est parce que c’est complexe que j’ai besoin de quelqu’un de compétent… » A utiliser avec parcimonie….

Je vous laisse… J’ai sport pour maigrir, et après on s’est préparé un bon petit diner avec ma femme.

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