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Pourquoi garder les meilleurs n’est pas une priorité

Pourquoi garder les meilleurs n’est pas une priorité
Pourquoi garder les meilleurs n’est pas une priorité

/Améliorer la gestion des Hommes

 1 mois après une réflexion sur les systèmes de Hi-Po qu’il faut selon nous proscrire, poursuivons le combat contre les idées reçues sur le management des talents ! Il le faut parce que nos entreprises sont obsédées par les pépites en tout genre, qui répondent à certains canons du moment : souplesse, pragmatisme, leadership, aisance relationnelle, « intelligence », et bien sûr résultats obtenus, âge, études… Mais a-t-on raison de tout faire pour les attirer et les retenir ? Pas sûr.


 Attirer et garder les meilleurs c’est cher….

Comme personne ne remet en question le fait qu’il faut attirer les super talents chez soi plutôt que les laisser aller à la concurrence, tout le monde se bat pour les mêmes personnes. D’autant plus que la définition de ce qu’est un talent est très normée finalement par le bruit ambiant sur le management. Il suffit de se balader sur LinkedIn quelques minutes et on a plein de critères. Je viens de faire l’exercice à l’instant et, en 4 minutes chrono j’ai gestion des émotions, prise d’initiatives, culture digitale, féminins si possible, coopérative, intelligence collective, innovante... Qui ne recrute pas le candidat qui a tout ça ? Personne. C'est donc cher surtout s'il est suffisamment jeune, mais pas trop.

Et puis, au long de leur vie au boulot, ces mêmes talents sont chassés, donc exigeants. Ils fréquentent des gens comme eux, comparent salaires et avantages, sentent souvent le parfum d’une herbe ailleurs qui serait peut-être un peu plus verte.

Et comme on ne se pose même pas la question du bien-fondé de cette course pour les pépites, on paye cher, sans challenger ce choix.


Et moins efficace qu’il n’y parait

Mais la stratégie est hautement contestable, au-delà de son prix, par les effets indésirables qu’elle induit, et les possibilités qu’elle réduit.

D’abord, elle prend comme critère des qualités objectives et effectivement efficaces en entreprise, mais néglige un peu (beaucoup) la motivation. Les talents peuvent en avoir évidemment, mais un outsider que l’on recrute, qui ne coche pas les cases peut en avoir bien plus et bien plus longtemps, justement parce qu’il ne coche pas toutes les cases. Vous savez, c’est l’effet du petit Poucet dans les compétitions sportives (coupe de France de football en tête) où une équipe objectivement moins forte renverse une équipe de stars, parce que la motivation dépasse le talent. Mais évidemment cet argument est insuffisant sur la durée, parce qu’en entreprise on a beaucoup de matchs à jouer, et pas seulement un exploit à réaliser.

Pendant ce temps, on cantonne es autres aux projets et tâches subalternes

Plus structurellement la fragilité de cette stratégie est d’induire une gradation entre les salariés (comme on l’a vu dans l’article sur les systèmes HiPo https://www.albus-conseil.com/fr/flop_67-en-finir-avec-les-hipo). Elle déséquilibre les moyens donnés aux uns vs ceux que l’on donne aux autres, bien plus nombreux. Elle concentre les projets les plus excitants et les plus formateurs dans les mains de ces pépites, pour qu’ils restent relever le défi. Mais pendant ce temps, on cantonne donc les autres aux projets et tâches subalternes. En plus, les talents, notamment quand ils sont très jeunes, veulent travailler avec des gens comme eux, parce que ça les stimule et que ça renforce les probabilités de succès et donc d’effet booster pour la carrière.

En réalité, il faudrait demander (exiger) que les pépites soient presque exclusivement centrées sur les autres plus faibles. Mais on leur demande rarement ça… Et l’accepteraient-ils ?

La recherche de talents c’est une stratégie qui omet que l’entreprise est un système plus complexe qu’un train qui a besoin d’une locomotive pour tirer des wagons passifs. L’entreprise a besoin que tout le monde tire. Et attribuer cette mission à certains c’est implicitement ou explicitement ôter aux autres la responsabilité de le faire.


Les retenir en période de changement est un calcul dangereux

Et dans la vie des entreprises, il y a des moments où cette stratégie contestable devient carrément absurde : en période de forts changements. Quand vous menez une réorganisation, un PSE, quand vous modifiez en profondeur votre stratégie. Si vous êtes à la tête d’une petite boîte rachetée par une plus grande, ou que vous rachetez une autre structure dont la taille va modifier profondément le fonctionnement de l’entreprise. Bref, si vous menez un changement important, alors, vous avez sûrement tendance à vous dire : « pourvu que les meilleurs ne partent pas ».

Ça ne veut pas dire que tous les talents vont partir, mais que vous ne maîtrisez que très peu la décision.

Mais un grand changement c’est un changement du pacte pour lequel on est rentré dans l’entreprise. Et dans ces cas là, le réflexe mécanique, pour tous, c’est que le projet individuel va temporairement et violemment prendre le dessus sur le projet collectif : « Est-ce toujours la boîte dont je rêve ? » « Est-ce le moment de donner un nouveau sens à ma carrière ? » Or ces questions, nécessaires et souhaitables dans un processus d’appropriation, vont aboutir à des conclusions qui vous sont moins favorables pour les plus hauts potentiels. Puisqu’au moment où ils vont étudier leur propre cas, ils vont aboutir à la conclusion qu’ils ont d’autres possibilités que de rester. Alors que les gens plus fragiles vont se dire qu’ils ont intérêt à s’accrocher. Ça ne veut pas dire que tous les talents vont partir, mais que vous ne maîtrisez que très peu la décision. Votre intérêt est de faire une bonne proposition sans exagération (pour garder des marges de manœuvre pour les autres) et de vous concentrer sur l’équipe du futur, ceux qui resteront sûrement pour les fédérer autour du nouveau projet.

Exemple : votre start-up à succès est rachetée par un grand groupe (vous êtes chez Chauffeur Privé racheté par Daimler par exemple) : il est probable que les super talents qui sont venus pour être grisés par l’esprit start-up soient impossibles à retenir. Ils vont donc partir. L’attitude la plus logique est donc de faire de ces départs une fête (vive ceux qui ont contribué à nos succès jusque-là et qui vont faire le bonheur de start-upeurs en devenir !) et de mobiliser votre énergie sur ceux que le monde des start-up n’intéresse pas plus que ça (oui oui, il y en a) pour faire un projet excitant pour les années à venir, avec les atouts du grand groupe.


Et parfois les faire partir fait avancer plus vite 

  Et puis, allons plus loin et rappelons notre inspirateur principal, le roi Arthur (https://www.albus-conseil.com/fr/flop_24-la-revanche-manageriale-darthur). Arthur veut le but mais pense que le progrès et le collectif sont les moyens les plus efficaces pour l’obtenir, quand Lancelot veut réunir les meilleurs pour y arriver. Arthur nous invite à regarder l’équilibre des relations plus que les records. Il nous incite à faire progresser un peu tout le monde plutôt que beaucoup peu de monde pour avoir un grand bras de levier, et surtout une pérennité des actions. Ainsi, Aimé Jacquet, arthurien iconique, n’a pas pris Cantona pour gagner sa coupe du monde, et a inspiré son disciple Didier Deschamps qui s’est privé de Benzema, pour le même résultat.

Parfois se séparer d’un talent évident, c’est libérer les énergies.

Alors quand votre équipe ne marche pas malgré de grands talents, envisagez la possibilité qu’elle ne marche pas à cause des grands talents. Parce qu’ils prennent trop de lumière et en laissent peu aux autres qui se démotivent. Parce qu’ils suscitent votre admiration qui va sembler inaccessible aux autres.

Parfois se séparer d’un talent évident, c’est libérer les énergies et redécouvrir des talents moins brillants, mais bien répartis. Vous reprendrez souvent de l’optimisme sur votre équipe en enlevant la star qui vous éblouit.


Faites vos talents, hors des normes et rien que pour vous

Finalement, la question n’est pas de se séparer à tout prix des meilleurs, ou de renoncer à en attirer un seul, mais surtout de ne pas exagérer en la matière. Pas de privilège à leur donner et l’exigence très forte d’emmener les autres avec eux. Un talent anti-collectif c’est grave.

C’est aussi une question de mesure et d’équilibre. On n’oublie pas de valoriser autant les petites victoires de ceux qui essayent que les grandes victoires de ceux qui planent au dessus de la mêlée. On n’oubliera pas de sur-valoriser un collectif qui marche ensemble vs un individu qui avance vite mais seul.

Ainsi, vous créerez vos propres talents, adaptés à la vie et aux contraintes de votre entreprise, qui vous coûteront plus en formation et en management de long terme, mais moins en course au package dans un marché hyper concurrentiel.

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